Le Jardin des
Cyclopes
analyse
de Thierry Horguelin
Art et Culture - juillet août 1996
D'abord,
l'énigme d'un visage
et d'un
sourire: ceux du condamné à mort
Thomas Stappleton à quelques secondes de son exécution, diffusée en
direct sur les petits écrans américains.
Interpellé par cette énigme,
Jerry Scott, mis en congé indéfini par son journal (et retrouvant par
là la position du privé de la grande époque), va recommencer l'enquête
pour son compte. Elle le conduira dans un domaine quasi mythologique,
le jardin des cyclopes,
où il achèvera de reconstituer en imagination l'engrenage des faits qui
ont conduit une victime née, à servir de coupable
idéal dans une sombre machination.
Les personnages, le décor (une Amérique irréelle et abstraite) et
l'argument du premier roman d'Yvon Givert (une enquête sur un mystère,
qui amène l'enquêteur à découvrir
un complot aux ramifications infinies - et d'autant plus menaçantes
qu'elles
restent obscures -tout en ayant pour lui valeur d'initiation)
appartiennent au répertoire du riche roman noir moderne.
De ces
archétypes, Givert dispose comme d'un donné
familierou d'un milieu ambiant servant à la création d'un univers
personnel.
Il serait donc justice que cet excellent roman rencontre un large
public: l'intrigue en est suffisamment prenante dans son opacité pour
satisfaire celui qui s'y arrête, d'autant que l'auteur parvient à
suggérer une inquiétude sourde, latente au coeur des apparences, par
une écriture elliptique, rapide, sans graisse, d'un agrément immédiat.
Mais ce vrai-faux polar porte aussi en lui une méditation sur
l'illusion, la culpabilité, le soupçon et la solitude, en même temps
qu'une critique de quelques "mythologies" contemporaines:
l'impossibilité de communiquer autrement que par des intermédiaires
matériels et abstraits, la banalisation médiatique de l'horreur
spectaculaire, la télésurveillance et la disneylandisation en marche du
monde. A découvrir.